Arthur De la Baure
1743

Pétain, homme providentiel pour les catholiques ? Vichy, résurrection de la France éternelle ?

Arthur Chevallier – Vichy, un régime pas très catholique

CHRONIQUE. On accuse régulièrement l'Église d'avoir collaboré avec le régime de Philippe Pétain, mais l'épiscopat français s'est déchiré sur la question.

Le régime de Vichy ignorait la vertu. Rien n'y était sincère. Pas même la soumission, pas même l'idéologie, pas même la méchanceté. Ainsi en a-t-il été de sa restauration morale. L'État français fondé en juillet 1940 remplace la République par un gouvernement soi-disant d'inspiration catholique et réactionnaire. Les droits de l'homme et plus généralement les principes hérités de la Révolution française, prétendument néfastes, sont remplacés par un ordre moral à la fois hypocrite et infantilisant. On ne substitue pas si facilement cent cinquante ans d'histoire. C'est pourquoi Pétain souhaite ériger l'Église en pilier de sa société nouvelle afin de combler la disparition du libéralisme et de l'égalitarisme, lesquels, pour être désormais indésirables, n'en étaient pas moins structurants. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on accuse l'Église d'avoir collaboré. Qu'en a-t-il été vraiment ?

Laurent Joly a écrit un grand livre il y a deux ans, L'État contre les Juifs. Il réalise aujourd'hui un documentaire d'une grande intelligence sur les relations entre les catholiques et le régime de Vichy. Le maréchal Pétain, réputé être un des généraux les moins cléricaux de la Première Guerre mondiale, séduit les évêques les plus influents en leur proposant de restituer l'Église dans ses droits et sa puissance. D'abord flatté d'être courtisé, l'épiscopat soutient Vichy. Le cardinal Gerlier, évêque de Lyon, primat des Gaules, déclare : « Pétain, c'est la France ; la France, c'est Pétain. » En zone occupée, le cardinal Suhard, archevêque de Paris, montre la même ferveur à l'égard du chef de l'État, dont il est proche. De son côté, Pétain multiplie les visites à la messe et réintègre l'enseignement religieux dans les programmes scolaires. En novembre 1940, le recteur de l'Institut catholique de Paris, le cardinal Baudrillart, publie dans la presse une invitation à la collaboration : « La collaboration est une œuvre indispensable à la paix. »

Les Cahiers du témoignage chrétien

L'indignation des catholiques de France est générale. La rupture entre le clergé et ses fidèles est désormais évidente. En octobre 1940, les principaux évêques soutiennent la loi sur le statut des Juifs. Dans ses carnets, Suhard écrit : « Il s'agit d'opérer la révolution qui doit nous libérer de l'oppression maçonnique et juive. » Des Juifs qualifiés « d'apatrides », c'est-à-dire non français, sont internés dans des camps. L'inhumanité des traitements provoque contestation et indignation. C'en est trop. Le père Chaillet, jésuite célèbre pour son opposition à Vichy, fonde en novembre 1941 Les Cahiers du témoignage chrétien (aujourd'hui Témoignage chrétien), où il écrit que l'antisémitisme est incompatible avec la chrétienté, dénonce les conditions dans lesquelles sont retenus les Juifs, l'inhumanité de Pétain et de ses hommes. Ce périodique clandestin deviendra le plus diffusé de l'histoire de la Résistance. Il passe de 5 000 exemplaires en 1940 à plus de 100 000 en juillet 1944. Un seul évêque soutient Chaillet, l'archevêque de Toulouse, Mgr Saliège. Des catholiques s'engagent dans la Résistance et protègent les juifs au nom de leurs convictions.

À partir de 1942, l'étoile jaune est, comme l'explique brillamment Tal Bruttmann, le révélateur d'une humanité jusqu'ici dissimulée par la maniaquerie xénophobe. Désormais, le Juif devient un Juif. Les hommes, femmes et enfants qui arborent une étoile rappellent à la France que les victimes des slogans et des insultes ne sont pas seulement les membres d'une typologie abstraite, mais des êtres humains. Comment une telle évidence avait-elle pu être oubliée ? Alors que Suhard souhaite, à l'occasion de la rafle du Vél' d'Hiv, émettre une protestation, René Bousquet le lui interdit : l'Église doit rester un allié du régime. Et comme on comprend les collaborationnistes. Sans Dieu, Vichy apparaîtrait pour ce qu'il est, un nihilisme répugnant alimenté par la frustration, la méchanceté, la lâcheté de ses dirigeants, à l'image du nazisme. Mgr Saliège, une fois encore, sauve l'honneur du clergé en dénonçant publiquement la barbarie de l'État français. Comme l'avait relevé Laurent Joly dans L'État contre les Juifs, cette protestation est la première récrimination publique contre la déportation des Juifs de France.

Le discours, imprimé, réimprimé, réréimprimé, est lu jusqu'à Londres, à la BBC. Mgr Gerlier prend ses responsabilités en affirmant à Pierre Laval que l'Église de France ne tolérera plus d'arrestations de Juifs. Grâce à cette intervention, le gouvernement de Vichy explique à la SS qu'il lui est impossible, dans ces conditions, de poursuivre la déportation des juifs à un rythme soutenu. Les Allemands, compréhensifs, acceptent de ralentir la cadence. Première victoire pour l'Église. La presse collaborationniste insulte Gerlier, dont la dignité cardinalice n'a soudainement plus d'importance, le qualifie de « cardinal talmudiste » et de « défenseur de la juiverie ». En août 1942, le père Chaillet et Mgr Gerlier sauvent une centaine d'enfants de la déportation dans la région de Lyon. Le préfet insistera en vain auprès du primat des Gaules pour… les récupérer ! Après l'invasion de la zone libre, l'évêché de Nice opère une opération de sauvetage sans précédent au terme de laquelle plus de 500 enfants sont cachés dans un monastère où leur sont dispensés des cours qu'on pourrait qualifier de « dissimulation ». Ils apprennent, grâce aux religieux, à se faire passer pour des catholiques (aucune conversion n'est demandée) ; ils reçoivent de faux papiers, de nouveaux noms.

Ce documentaire fondé sur des travaux inédits dévoile bien sûr des informations essentielles sur l'épiscopat français pendant la collaboration ; mais son intérêt premier est autre. Vichy apparaît dans un éclat sombre, sordide et vil. Les fadaises sur les prétentions chrétiennes du régime de Pétain sont combattues de façon méthodique et exemplaire. La collaboration est le nom d'une victoire de la division des Tartuffes qui, après avoir pris la France, l'ont recouverte du voile des enfers, seul royaume où leur bassesse pouvait triompher.

Référence documentaire

Laurent Joly et Marie-Christine Gambart, La France catholique face à la Shoah, Morgane production. Diffusé pour la première fois le 4 octobre 2020 sur France 5.

Un vrai catholique se lève

Le contexte


1942. Alors que la France discrimine et persécute les populations juives dans le cadre de la collaboration entre le régime de Vichy et l’Allemagne nazie, le préfet de la Haute-Garonne ordonne la déportation de Juifs des camps de Noé et de Récébédou vers les camps de la mort. Cette même année, la France connaitra l’horreur de la rafle du Vel-d’Hiv.

Informé, l’archevêque de Toulouse écrit et fait diffuser, le 23 août 1942, une lettre où il dénonce vigoureusement les violences faites aux Juifs et le mépris des droits des personnes. Cette lettre, dont le gouvernement français a essayé de bloquer la diffusion, sera largement reprise et diffusée par le Vatican et sur les ondes de la BBC.

« Il y a une morale chrétienne, écrit Monseigneur Saliège, il y a une morale humaine qui impose des devoirs et reconnaît des droits. (…) Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier. »

Ces mots vont résonner aux oreilles de la population française. Ils vont encourager de multiples initiatives ou encore accompagner des Français dans la lutte contre la persécution des Juifs entraînant de nombreux actes de solidarité tant individuels que collectifs. Mgr Saliège va même jusqu’à mettre à disposition les ressources du diocèse de Toulouse pour aider des filières de protection de Juifs et sera, pour ces raisons, arrêté par le Gestapo - avant d’être relâché pour état de santé. Tout un “réseau Saliège” se met en place.

Après la guerre, unanimement reconnu, il sera fait compagnon de la Libération par Charles de Gaulle en 1945, recevra le titre de Cardinal en 1946 et celui de Juste parmi les nations en 1969.

Le « réseau Saliège »

Quand on évoque Monseigneur Saliège, on pense immédiatement à cette fameuse lettre « sur la personne humaine ». Mais elle n’est en réalité que la partie visible d’un iceberg, celui de l’action menée par l’Église en Haute-Garonne pour les victimes de la politique nazie, et en particulier, les juifs. C’est ce qu’on appelle « le réseau Saliège ».
Dès avant sa publication de cette lettre, le diocèse se dote de plusieurs organismes pour venir en aide aux personnes arrêtées et placées dans des camps d’internement. Ces organismes reçoivent des aides financières y compris de la part du Vatican.

Lorsque les premières déportations ont lieu et que les conditions de vie de ces camps se détériorent, l’archevêque est averti et décide, sans attendre, d’agir non seulement en écrivant cette lettre mais aussi en mettant en place un réseau d’entraide et de sauvetage, en lien avec les institutions juives et les réseaux de résistance dont l’Institut Catholique devient un haut lieu.

Lettre pastorale du cardinal Jules Saliège sur la personne humaine

« Mes très chers Frères,

Il y a une morale chrétienne, il y a une morale humaine qui impose des devoirs et reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits, tiennent à la nature de l’homme. Ils viennent de Dieu. On peut les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer.

Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et des mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle.

Pourquoi le droit d’asile dans nos églises n’existe‐t‐il plus ?
Pourquoi sommes‐nous des vaincus ?
Seigneur ayez pitié de nous.
Notre‐Dame, priez pour la France.

Dans notre diocèse, des scènes d’épouvante ont eu lieu dans les camps de Noé et de Récébédou. Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos Frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier.

France, patrie bien aimée France qui porte dans la conscience de tous tes enfants la tradition du respect de la personne humaine. France chevaleresque et généreuse, je n’en doute pas, tu n’es pas responsable de ces horreurs.

Recevez mes chers Frères, l’assurance de mon respectueux dévouement. »

Jules‐Géraud Saliège
Archevêque de Toulouse
13 août 1942
shazam
« Après l'invasion de la zone libre, l'évêché de Nice opère une opération de sauvetage sans précédent au terme de laquelle plus de 500 enfants sont cachés dans un monastère »
Exact : Le monastère Saint- Claire sur la colline de Cimiez à Nice a permis de sauver 527 enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale (France 3 Provence-Alpes-Côte d'Azur)
Monsieur l'évêque Paul Rémond, 1873 + 1963.Plus
« Après l'invasion de la zone libre, l'évêché de Nice opère une opération de sauvetage sans précédent au terme de laquelle plus de 500 enfants sont cachés dans un monastère »

Exact : Le monastère Saint- Claire sur la colline de Cimiez à Nice a permis de sauver 527 enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale (France 3 Provence-Alpes-Côte d'Azur)

Monsieur l'évêque Paul Rémond, 1873 + 1963.